2 Portée et objectifs de l’évaluation
Une évaluation des effets cumulatifs vise à établir les effets de multiples stresseurs environnementaux sur la viabilité de récepteurs environnementaux d’intérêt, communément appelés composantes valorisées (Beanlands and Duinker, 1983; Sinclair et al., 2017). En plus de l’importance des processus de concertation et de mobilisation des divers collaborateurs, une évaluation d’effets cumulés inclut généralement les étapes suivantes, sans toutefois s’y limiter:
Identifier, impliquer et communiquer avec les parties prenantes de l’évaluation, et ce à toutes les étapes de la démarche
Définir la portée de l’évaluation
- Établir les objectifs de l’évaluation
- Définir les limites spatiales et temporelles de la zone à l’étude
- Identifier les activités préoccupantes et les stresseurs environnementaux qui en découlent
- Identifier et prioriser les composantes valorisées sur lesquelles l’évaluation doit être effectuée
Établir un portrait de la zone à l’étude
- Caractériser l’intensité, l’étendue et la fréquence des activités et stresseurs environnementaux.
- Caractériser les composantes valorisées
- Évaluer la vulnérabilité des composantes valorisées aux stresseurs environnementaux
Analyse des effets cumulés
Diagnostic de l’analyse
- Répartition spatiale des effets cumulatifs
- Exploration détaillée de l’effet des stresseurs environnementaux sur les composantes valorisées
- Identifier les sources d’incertitude et les lacunes en connaissances
Mise en place de processus décisionnels
- Identifier et mettre en place des mesures de gestion
- Identifier des mesures d’atténuation
Suivi et gestion adaptative
L’identification et l’implication des parties prenantes (1) et la définition de la portée de l’évaluation (2) ont été définies en amont du déclenchement des travaux présentés au sein de ce rapport à travers divers processus de concertation, de mobilisation et d’ateliers de travail organisés par Transports Canada et les membres du comité du Plan d’Action Saint-Laurent (PASL). Ces processus ont permi de considérer les préoccupations des Premières Nations, des communautés côtières et de diverses parties prenantes du projet en vue d’établir la portée de l’évaluation des effets cumulatifs des activités maritimes dans la zone d’étude, i.e. d’identifier les stresseurs environnementaux et les composantes valorisées à considérer pour l’évaluation. À la lumière de ces processus, le projet pilote présenté par ce rapport se concentre sur le portrait de la zone à l’étude (3), l’analyse des effets cumulatifs (4) et l’évaluation critique de l’analyse (5). Les étapes 6 et 7 ne font pas partie de cette évaluation. Les prochaines sections du rapport présentent les étapes couvertes par le contrat.
2.1 Objectifs
L’objectif général du projet pilote est de développer une méthodologie d’analyse et d’effectuer une évaluation des effets cumulatifs des activités maritimes dans le Saint-Laurent (tronçon fluvial et estuaire) et la rivière Saguenay (partie en eau profonde) au Québec. Plus spécifiquement, les objectifs du projet pilote sont de :
- Caractériser l’intensité et la distribution spatiale d’activités maritimes et des stresseurs environnementaux résultants ciblés du Saint-Laurent et du Saguenay;
- Caractériser la structure spatiale de certaines composantes valorisées ciblées du Saint-Laurent et du Saguenay;
- Évaluer la vulnérabilité des composantes valorisées aux stresseurs environnementaux;
- Évaluer les effets cumulatifs des stresseurs environnementaux sur les composantes valorisées dans le Saint-Laurent et le Saguenay
2.2 Portée spatiale et temporelle
La région visée par l’évaluation des effets cumulatifs des activités maritimes couvre le Saint-Laurent fluvial et l’estuaire du Saint-Laurent entre l’ouest de Montréal – i.e. près de Châteauguay et Dorval – et Pointe-des-Monts sur la côte nord et Cap-Chat sur la rive sud, et la partie en eau profonde du Saguenay de son embouchure sur le Saint-Laurent jusqu’à Saint-Fulgence (Figure 2.1). La zone d’étude a été délimitée en combinant la classification des rivages du Québec et du Fleuve Saint-Laurent (Sergy, 2008) et les bases de données topographiques du Québec (BDTQ) à l’échelle 1/20 000 (Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, 2021a). Une grille d’étude constituée de cellules de 1 \(km^2\) a été construite à partir de la délimitation de la zone d’étude en y ajoutant une zone de tampon de 2.6 \(km\) (Figure 2.1). Cette zone tampon a été ajoutée afin de s’assurer que tous les milieux aquatiques et marins étaient couverts par la grille résultante. Le code et les données décrivant la zone d’étude sont disponibles par le dépôt GitHub dédié à la délimitation de la zone d’étude (https://github.com/EffetsCumulatifsNavigation/ZoneEtude).
Les limites temporelles de l’étude sont définies par la disponibilité des données permettant d’effectuer l’évaluation des effets cumulatifs. Dans la majorité des cas, des données historiques demeurent indisponibles, limitant ainsi l’identification d’états de référence. Pour cette étude pilote, la recherche de données a ainsi été orientée vers une évaluation contemporaine des effets cumulatifs, c.-à-d. au cours des 5 à 10 dernières années selon les données disponibles; les données historiques permettant l’identification d’états de référence n’ont ainsi pas été utilisées. Il est toutefois important de noter que, lorsque disponibles, des données couvrant une période plus longue ont été utilisées (e.g. les activités de dragage; voir section 4.2.3).
2.3 Activités maritimes et stresseurs environnementaux
Les activités maritimes peuvent résulter en une variété de stresseurs environnementaux ayant le potentiel d’affecter l’intégrité des écosystèmes sociaux-écologiques exposés. Un stresseur environnemental est un processus d’origine naturelle ou anthropique pouvant perturber un milieu au-delà de ses limites de tolérance (Kappel et al., 2012). Dans le cadre de ce projet pilote, les stresseurs environnementaux correspondent plus particulièrement à tout processus issus des activités maritimes pouvant perturber divers composantes valorisées (voir section 2.4) au sein de la zone d’étude. Les activités maritimes incluent toute activité liée au transport maritime et effectué en milieu aquatique ou marin. Les activités maritimes incluent non seulement les navires commerciaux, mais aussi les bateaux de croisières, traversiers, bateaux de pêche, plaisanciers.
Il est important de noter que les stresseurs environnementaux affectant la zone d’étude et issus d’autres vecteurs comme les changements climatiques et la pollution d’origine terrestre ne sont pas considérés par la présente évaluation. Les infrastructures portuaires ne sont ainsi pas incluses au projet pilote. Toute mention de stresseurs environnementaux au sein de ce rapport cible ainsi spécifiquement les stresseurs environnementaux issus des activités maritimes, à moins d’indication contraire.
Il doit également être mentionné que bien que le terme stresseur suggère que les activités et processus décrits ont des effets négatifs, il n’en est rien; en effet, certaines activités peuvent n’avoir aucun effet sur les composantes valorisées considérées, ou même avoir des effets positifs. Considérer des activités en tant que stresseurs environnementaux ne constitue ainsi pas une supposition inhérente quant à leurs effets négatifs sur les composantes valorisées considérées.
Des ateliers de travail pré-datant le projet pilote ont permis d’identifier une série d’activités maritimes et divers stresseurs qui leur sont associés (Tableau 2.1). Cette liste a guidé le travail effectué afin de caractériser les stresseurs environnementaux dans la zone d’étude pour l’évaluation des effets cumulatifs.
Activités maritimes | Stresseurs environnementaux |
---|---|
Dragage | Hydrologie, érosion, accumulation sédimentaire, contamination |
Ancrages | Perturbation du substrat, lumière, bruit, espèces aquatiques envahissantes, emmêlement, agents pathogènes, vibrations |
Échouements / Naufrages | Perturbation du substrat, débris, lumière, bruit, espèces aquatiques envahissantes, largage de cargaison |
Rejets opérationnels | Espèces aquatiques envahissantes, hydrocarbures, produits chimiques, contaminants, émissions atmosphériques, eaux usées, agents pathogènes, salinité |
Déversements accidentels | Déversement d’hydrocarbures/contaminants, largage de cargaison, émissions atmosphériques, bioaccumulation, perturbation du substrat |
Déplacements (eau libre de glace) | Lumière, bruit, sillages/remous, espèces aquatiques envahissantes, agents pathogènes, vibrations, perturbation du substrat, érosion, collisions, déglaçage, emmêlement |
Engins de pêche | Sillages/remous, perte de matériel |
2.4 Composantes valorisées
Les composantes valorisées correspondent essentiellement aux éléments sociaux ou écologiques sur lesquels l’analyse des effets cumulatifs est effectuée. Dans le cadre du projet pilote, les composantes valorisées ont été identifiées au préalable lors d’activités de concertation et d’ateliers de travail avec des experts du milieu, des représentants autochtones et de multiples parties prenantes. Les composantes valorisées ont été sélectionnées séparément pour les secteurs fluvial (Montréal à Québec) et maritime (rivière Saguenay et l’estuaire) du Saint-Laurent (Tableau 2.2). Cette liste a guidé le travail effectué afin de caractériser les composantes valorisées identifiées dans la zone d’étude pour l’évaluation des effets cumulatifs.
Composantes valorisées | Secteur fluvial | Secteur maritime |
---|---|---|
Intégrité des berges | X | |
Habitats | X | X |
Mammifères marins | X | |
Qualité de l’eau | X | X |
Sites d’intérêt culturels, patrimoniaux et archéologiques | X | X |
2.5 Limites et considérations particulières
La portée de l’évaluation impose certaines limites à la présente étude; nous présentons certaines de ces limites en amont du portrait et de l’évaluation des effets cumulatifs des activités maritimes afin qu’un lecteur puisse faire une lecture éclairée des prochaines sections du rapport. Des limites supplémentaires relatives à la méthode utilisée, aux éléments du portrait de la zone d’étude et aux résultats de l’évaluation des effets cumulatifs sont également présentés à la section 6 du rapport.
Il est crucial de considérer que la portée de l’étude balise entièrement l’interprétation possible du portrait de la zone d’étude et des résultats de l’évaluation : l’évaluation est entièrement contrainte par les limites spatiales et temporelles, par les stresseurs environnementaux et par les composantes valorisées considérés pour l’étude. Aucune interprétation débordant de cette portée ne peut être effectuée. L’interprétation des résultats doit ainsi être faite en considérant la résolution, l’étendue, et la quantité d’éléments inclus à l’évaluation; toute interprétation qui déborde de ces paramètres est nécessairement erronnée.
La présente étude est une évaluation sectorielle des effets cumulatifs concentrée sur les activités maritimes liées à la navigation. En plus des activités maritimes, la zone d’étude est soumise à une variété de stresseurs environnementaux tels les changements climatiques et les stresseurs d’origine terrestre (e.g. Beauchesne et al., 2020). La présente évaluation ne peut ainsi être considérée comme représentative de l’ensemble des stresseurs environnementaux exerçant des pressions environnementales au sein de la zone d’étude.
Similairement, les composantes valorisées sélectionnées représentent une série de préoccupations identifiées par des experts et des communautés locales et diverses parties prenantes lors d’activités de concertation et de co-développements à l’origine de ce projet pilote. Ces préoccupations sont valides et importantes, mais elles ne peuvent être considérées représentatives de l’entièreté des composantes environnementales, sociales, culturelles, patrimoniales et archéologiques d’importance au sein de la zone d’étude. Il est donc important d’interpréter les résultats de l’évaluation uniquement dans le contexte des composantes valorisées identifiées. Par exemple, une intensité inférieure des activités maritimes sur les composantes valorisées au sein du secteur maritime ne peut être interprétée comme une absence d’effets environnementaux ou sociaux. Les résultats de l’évaluation seraient différents si des composantes valorisées différentes étaient considérées. Par exemple, une évaluation ne considérant que les mammifères marins aurait prédit des effets uniquement au sein du secteur maritime de la zone d’étude; ceci n’aurait pu être interprété comme une absence de pression environnementale au sein du secteur fluvial.
Il est également important de mentionner que l’étude est contrainte par la disponibilité et l’accessibilité aux données nécessaires à l’évaluation des effets cumulatifs. Puisqu’aucune nouvelle donnée n’était collectée dans le cadre de ce projet, le portrait de la zone d’étude représente une veille des connaissances de données disponibles et accessibles pour décrire les stresseurs et les composantes valorisées considérées. Dans certains cas, des données étaient indisponibles (e.g. rejets opérationnels de la flotte internationale, voir section 4.2.7), alors que dans certains cas elles étaient inaccessibles même si elles existent (e.g. pêche commerciale dans le secteur fluvial et bruit maritime; voir section 4.2.6). Certaines données sont également en cours d’acquisition à travers d’autres projets de caractérisation du milieu (voir section 6). Ces données, lorsque disponibles, pourront être ajoutées à l’évaluation des effets cumulatifs.
Enfin, la zone d’étude contraint le portrait présenté; le portrait est ainsi représentatif de la zone d’étude, et non des éléments qui y sont caractérisés. Par exemple, les sites d’intérêt culturels, patrimoniaux et archéologiques identifiés par les Premières Nations s’étendent bien au-delà des limites spatiales de la zone d’étude. Il serait donc faux de considérer que l’évaluation des effets cumulatifs capture l’ensemble des effets pressentis sur les sites d’intérêts pour les Premières Nations.
De plus, l’évaluation proposée est régionale et explicitement spatiale; elle a ainsi nécessité des données spatialisées à une échelle régionale ou qui pouvaient être rattachées à des éléments de la zone d’étude afin d’être incluses à l’évaluation. L’utilisation de données ponctuelles ne couvrant qu’une portion du territoire était ainsi difficile, tout comme l’ajout de considérations d’ordre sociales et culturelles comme l’attachement territorial. Ces considérations demeurent toutefois importantes et ont été considérées dans le cadre d’une autre étude parallèle effectuée par l’équipe de Roxane Lavoie de l’Université Laval intitulée Projet Cultures et Nations Saint-Laurent (voir section 6).