3 Évaluation des effets cumulatifs

3.1 Effets cumulatifs

L’évaluation des effets cumulatifs a pour racines la gestion des ressources naturelles et les processus d’évaluation d’impacts environnementaux (Halpern and Fujita, 2013) et fait partie de la législation de certains pays depuis déjà plusieurs décennies, dont les États-Unis (National Environmental Policy Act 40 CFR 1508.7, 1969), le Canada (Loi canadienne sur l’évaluation environnementale L.C. 1992, ch. 37, maintenant la Loi sur l’évaluation d’impact 2019 22 (1)a)(ii)), l’Australie, et divers pays européens (Halpern and Fujita, 2013). La littérature scientifique et la littérature grise1 regorgent ainsi de publications fournissant des définitions, des cadres d’application, des guides de bonnes pratiques et des principes directeurs pour l’évaluation des effets cumulatifs dans le cadre d’évaluations d’impacts environnementaux (Hegmann et al., 1999; Krausman and Harris, 2011; e.g. Peterson et al., 1987). Il existe ainsi une variété importante de définitions et d’approches (Duinker et al., 2013; voir Therivel and Ross, 2007).

En son sens large, les effets cumulatifs sont définis par le Conseil canadien des ministres de l’environnement (Conseil canadien des ministres de l’environnement, 2014) comme un “changement dans l’environnement causé par les multiples interactions des activités humaines et des processus naturels qui s’accumulent dans le temps et l’espace”. L’évaluation des effets cumulatifs est quant à elle définie comme une “procédure systématique qui vise à identifier, à analyser et à évaluer les effets cumulatifs”.

Ces définitions montrent bien la nature systématique des effets cumulatifs et de leur évaluation, c.-à-d. une gestion des écosystèmes et des interactions qui les structurent dans leur ensemble, incluant les aspects humains, connexe à la gestion écosystémique. (Christensen et al., 1996; Leslie and McLeod, 2007; Rosenberg and McLeod, 2005). Les effets cumulatifs sont toutefois définis en termes plus restrictifs dans les textes de politiques, de lois et de régulations (Jones, 2016). La loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 1992 définit ainsi les effets cumulatifs comme suit:

“[…] les effets cumulatifs que [la] réalisation [d’un projet], combinée à l’existence d’autres ouvrages ou à la réalisation d’autres projets ou activités, est susceptible de causer à l’environnement”.

Les processus d’évaluation des effets cumulatifs sont ainsi typiquement effectués avec une perspective par projet plutôt qu’avec une perspective systémique. Plusieurs scientifiques réclament ainsi l’utilisation d’approches régionales pour l’évaluation des effets cumulatifs (e.g. Dubé, 2003; Duinker and Greig, 2006; Jones, 2016; Sinclair et al., 2017). Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada a d’ailleurs récemment autorisé, le 15 juillet 2021, une évaluation régionale de la région du fleuve Saint-Laurent à la suite d’une demande présentée par la Nation Mohawk de Kahnawà:ke en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact. Selon Sinclair et al. (2017), une évaluation régionale des effets cumulatifs peut être définie comme suit :

*“[Une évaluation régionale des effets] est une [évaluation environnementale] dont la principale et unique caractéristique distinctive est sa portée régionale et son accent sur une compréhension des interactions entre les activités humaines et le monde naturel (traduction libre).”

À l’instar d’une approche par projet dans le cadre d’évaluation d’impacts environnementaux, l’approche régionale s’intéresse plutôt aux effets (effect-based) totaux et à la viabilité de récepteurs environnementaux d’intérêt, communément appelés composantes valorisées (Beanlands and Duinker, 1983; Sinclair et al., 2017). Plusieurs contraintes limitent son application en pratique, notamment la nécessité d’utiliser des mesures environnementales – e.g. variation du taux de mortalité d’une espèce en fonction d’un stresseur environnemental – afin d’établir les effets d’un ou de plusieurs stresseurs sur une composante valorisée. Ces types de mesures sont particulièrement difficiles à obtenir dans le cadre d’évaluation d’effets cumulatifs; elles rendent également forcément les évaluations réactives puisque les effets doivent être observés afin d’établir un lien significatif entre la présence d’un stresseurs et la dégradation d’une composante valorisée (Dubé, 2003). Une approche idéale permettrait plutôt de combiner les approches d’évaluations des effets cumulatifs basées sur les effets et sur les stresseurs (Dubé, 2003; Sinclair et al., 2017).

3.2 Méthode

Une étude menée par Halpern et al. (2008) a enclenché un pas majeur vers une évaluation systémique et spatialement explicite des effets cumulatifs des activités humaines sur les océans mondiaux en évaluant les effets cumulatifs de 17 stresseurs environnementaux sur 20 types d’écosystèmes marins. Cette étude a démontré que peu de milieux demeurent libres de l’empreinte des activités humaines et que la majorité des écosystèmes sont affectés par de multiples stresseurs environnementaux. Les mises à jour publiées par le même groupe en 2015 (Halpern et al., 2015) et en 2019 (Halpern et al., 2019) indiquent également un accroissement généralisé des effets cumulatifs sur les océans. En plus d’être utilisée à l’échelle globale, cette méthode a été utilisée à de mainte reprises dans différentes régions du globe afin de caractériser les effets cumulatifs, dont la Californie (Halpern et al., 2009), l’Arctique (Afflerbach et al., 2017; Andersen et al., 2015), l’Océan Pacifique Canadien (Ban et al., 2010; Clarke Murray et al., 2015b, 2015a; Singh et al., 2020). Au moment d’écrire ces lignes, une évaluation appliquant une approche similaire est en cours pour la région pilote de Placentia Bay (Terre-Neuve-et-Labrador) dans le cadre de l’initiative nationale sur les effets cumulatifs du transport maritime de Transports Canada. Pêches et Océans Canada mène également une évaluation pour la région des maritimes et étudie l’applicabilité générale de l’approche en vue de caractériser les effets cumulatifs sur les océans canadiens.

3.2.1 Modèle général

La méthode développée par Halpern et al. (2008) permet de combiner la diversité des composantes valorisées, des stresseurs et des vulnérabilité de chaque composante valorisée à chaque stresseur. La méthode requiert trois types de données : 1) la présence ou l’absence cartographiée des composantes valorisées (\(CV_i\)), 2) la distribution spatiale et l’intensité relative (i.e. normalisée entre 0 et 1) des stresseurs environnementaux considérés (\(S_j\)) et 3) la vulnérabilité relative de chaque composante valorisée à chaque stresseur (\(\mu_{i,j}\)). Ces données sont ensuite incorporées au sein d’une grille constituée de cellules de tailles homogènes caractérisant la zone d’étude visée. Les prédictions d’effets cumulatifs (\(E_C\)) sont calculées pour chaque cellule (\(x\)) de la grille par la sommation de l’ensemble des effets individuels des stresseurs sur l’ensemble des composantes valorisées :

\[E_{C_x} = \sum_{i=1}^n \sum_{j=1}^m CV_{i,x} * S_{j,x} * \mu_{i,j} \label{eq1}\]

Cette méthode propose le calcul d’un indicateur relatif des effets cumulatifs afin de prédire les risques associés aux effets de plusieurs stresseurs environnementaux sur des composantes valorisées. Le terme relatif est central à la compréhension de la méthode d’évaluation proposée. Un indicateur absolu relèverait une variation de l’état des composantes valorisées face au cumul des stresseurs environnementaux, telle une diminution de la population de bélugas dans l’estuaire du Saint-Laurent en réponse au cumul des stresseurs environnementaux. Un indicateur relatif permet plutôt de comparer les différents stresseurs environnementaux selon leur intensité au sein de la région étudiée et de leurs effets sur les composantes valorisées. Les résultats doivent ainsi être interprétés comme une probabilité de risque des activités maritimes sur les composantes valorisées considérées. Les résultats de l’évaluation des effets cumulatifs utilisant cette approche sont présentés à la section 5.4 du rapport.

Les prédictions d’effets cumulatifs calculés peuvent être déclinés afin d’évaluer la part relative des effets d’un seul ou de plusieurs stresseurs sur une ou plusieurs composantes valorisées (Figure 3.1). Par exemple, les prédictions d’effets cumulatifs pourraient être décomposées afin d’explorer les effets cumulatifs sur l’ensemble des mammifères marins, sur une seule espèce, ou encore afin d’identifier les régions où les mammifères marins sont le plus à risque dans la zone d’étude. Une exploration complète de l’ensemble des combinaisons stresseurs-composantes valorisées est possible (Figure 3.1); ceci offre la capacité d’analyser différents scénarios de gestion et de mener à des recommandations claires et ciblées afin d’optimiser et de prioriser des actions de gestion prises dans une région d’intérêt (Halpern et al., 2015). Elle offre également une approche flexible et quantitative pouvant intégrer différents types de données parfois difficilement comparables, comme des données biophysiques avec des connaissances qualitatives (Halpern et al., 2008, 2015; Halpern and Fujita, 2013).

Exemple fictif d'évaluation spatiale des effets cumulatifs selon la méthodologie proposée par [@halpern2008a]. L’évaluation débute par la délimitation d’une zone d’étude d’intérêt (**A**). Un portrait de la zone d’étude est ensuite effectué en caractérisant la répartition des stresseurs environnementaux (**B**) et les composantes valorisées (**C**) permettant d’atteindre les objectifs de l’évaluation. La sommation de l’ensemble des stresseurs environnementaux permet d’identifier les milieux qui sont les plus exposés au cumul de stress, *i.e.* l’exposition cumulée (**D**). La somme des composantes valorisées, quant à elle, permet d’identifier les milieux de la zone d’étude où un plus grand nombre de composantes valorisées se chevauchent (**E**). En combinant la répartition des stresseurs environnementaux et composantes valorisées ainsi que la vulnérabilité des composantes valorisées aux stresseurs environnementaux, une évaluation relative d’effets individuels est obtenue (**F**). Il est possible d’évaluer l’impact de l’ensemble des stresseurs environnementaux sur une seule composante valorisée (**G**); similairement, il est possible d’évaluer l’impact d’un seul stresseur environnemental sur l’ensemble des composantes valorisées (**H**). La sommation de l’ensemble des impacts individuels fournit l’évaluation relative des effets cumulatifs intégrant l’ensemble des combinaisons entre stresseurs environnementaux et composantes valorisées (**I**).

Figure 3.1: Exemple fictif d’évaluation spatiale des effets cumulatifs selon la méthodologie proposée par (Halpern et al., 2008). L’évaluation débute par la délimitation d’une zone d’étude d’intérêt (A). Un portrait de la zone d’étude est ensuite effectué en caractérisant la répartition des stresseurs environnementaux (B) et les composantes valorisées (C) permettant d’atteindre les objectifs de l’évaluation. La sommation de l’ensemble des stresseurs environnementaux permet d’identifier les milieux qui sont les plus exposés au cumul de stress, i.e. l’exposition cumulée (D). La somme des composantes valorisées, quant à elle, permet d’identifier les milieux de la zone d’étude où un plus grand nombre de composantes valorisées se chevauchent (E). En combinant la répartition des stresseurs environnementaux et composantes valorisées ainsi que la vulnérabilité des composantes valorisées aux stresseurs environnementaux, une évaluation relative d’effets individuels est obtenue (F). Il est possible d’évaluer l’impact de l’ensemble des stresseurs environnementaux sur une seule composante valorisée (G); similairement, il est possible d’évaluer l’impact d’un seul stresseur environnemental sur l’ensemble des composantes valorisées (H). La sommation de l’ensemble des impacts individuels fournit l’évaluation relative des effets cumulatifs intégrant l’ensemble des combinaisons entre stresseurs environnementaux et composantes valorisées (I).

3.2.2 Modèles partiels

Le modèle général d’évaluation des effets cumulatifs peut aisément être déconstruit en modèles partiels afin d’explorer des portions simplifiées de l’évaluation. Nous présentons ainsi trois indicateurs supplémentaires qui permettent d’explorer les résultats de l’évaluation.

3.2.2.1 Stresseurs et hotspots cumulés

Considérer uniquement la distribution spatiale et l’intensité relative des stresseurs environnementaux considérés (\(S_j\)) fournit une évaluation des stresseurs cumulés \(E_{S,x}\) (Beauchesne et al., 2020), qui correspond au cumul de l’ensemble des stresseurs environnementaux \(S\) au sein de chaque cellule \(x\) considérés pour l’évaluation :

\[E_{S_x} = \sum_{j=1}^m S_{j,x} \label{eq2}\]

L’évaluation des stresseurs cumulés des stresseurs environnementaux permet d’identifier les sites qui sont le plus exposés aux effets potentiels des stresseurs environnementaux considérés pour l’évaluation des effets cumulatifs. Elle ne fournit pas d’évaluation des effets, puisqu’elle ne considère que les stresseurs, leur intensité et leur distribution. Elle permet toutefois d’obtenir une évaluation des milieux qui sont le plus propices d’être affectés par les stresseurs dans notre zone d’étude.

Afin de limiter une surreprésentation de stresseurs composés de plusieurs sous-catégories, il est également possible de normaliser les valeurs d’intensité d’une catégorie de stresseur par le nombre de sous-catégories qui la compose. Par exemple, un stresseur composé de 10 catégories aurait un poids supérieur à un stresseur composé d’une seule catégorie. Afin de normaliser les valeurs d’intensité, il suffit de diviser l’intensité de ces sous-catégories par le nombre de sous-catégories, e.g. par 10 pour une catégorie composée de 10 sous-catégories.

À partir de l’évaluation des stresseurs cumulés, il est également possible d’obtenir une évaluation des hotspots de stresseurs cumulés, qui correspond à l’identification des milieux où les stresseurs environnementaux co-occurrent à haute intensité relative (Beauchesne et al., 2020). Les hotspots cumulés \(E_{H_x}\) est calculé au sein de chaque cellule de la grille d’étude et correspond à la somme des stresseurs dont l’intensité est contenue au sein de leur \(80e\) percentile respectifs :

\[E_{H_x} = \sum_{j=1}^m \mathbb{1} (S_{j,x} \; \epsilon \; P_{80, S_j})\]

\(P_{80, S_j}\) est le \(80e\) percentile du stresseur \(j\). Les résultats de stresseurs cumulés normalisés et non-normalisés et de hotspots cumulés sont présentés à la section 5.1.

3.2.2.2 Composantes valorisées cumulées

Considérer uniquement la présence ou l’absence cartographiée des composantes valorisées (\(CV_i\)) fournit une évaluation des composantes valorisées cumulées \(E_{S,x}\), qui correspond au cumul de l’ensemble des composantes valorisées \(CV\) au sein de chaque cellule \(x\) :

\[E_{CV_x} = \sum_{i=1}^n CV_{i,x} \label{eq3}\]

L’évaluation de l’empreinte cumulée permet d’identifier les milieux qui sont les plus riches en composantes valorisées. Tout comme l’évaluation des stresseurs cumulés, elle ne fournit pas d’évaluation des effets, puisqu’elle ne considère que les composantes valorisées. Elle permet toutefois d’obtenir une évaluation des milieux qui sont les plus importants pour les composantes valorisées dans la zone d’étude. La présence des composantes valorisées peut également être normalisée par le nombre de catégories de composantes valorisées afin d’éviter une surreprésentation de composantes valorisées composées de plusieurs catégories (voir section 3.2.2.1 précédente). Les résultats de composantes valorisées cumulées normalisées et non-normalisées sont présentés à la section 5.2.

3.2.2.3 Exposition cumulée

Le croisement de l’évaluation des stresseurs et des composantes valorisées cumulés fournit le troisième modèle partiel que nous présentons en complément du modèle global, i.e. l’exposition cumulée. L’exposition cumulée \(E_{E,x}\) correspond au produit de l’intensité des stresseurs environnementaux \(S_{j,x}\) et de la présence des composantes valorisées \(CV_{i,x}\) au sein de chaque cellule \(x\) :

\[E_{E_x} = \sum_{i=1}^n \sum_{j=1}^m CV_{i,x} * S_{j,x} \label{eq4}\]

L’exposition cumulée fournit une évaluation des milieux où il y a un chevauchement plus important entre les composantes valorisées et les stresseurs environnementaux. Bien que cette métrique n’établit pas une prédiction de l’effet des stresseurs sur les composantes valorisées, elle permet d’identifier les milieux où les composantes valorisées sont le plus susceptibles d’être soumises aux effets des stresseurs environnementaux considérés. L’exposition cumulés permet également de délimiter l’ensemble des milieux où des effets cumulatifs pourraient survenir, puisqu’un chevauchement entre stresseurs et composantes valorisées est nécessaire pour détecter un effet; en tant que tel, cette métrique capture une part importante des effets cumulatifs même si elle n’intègre pas la vulnérabilité des composantes valorisées aux stresseurs. Tout comme pour les stresseurs et composantes valorisées cumulés, l’exposition cumulée peut être normalisée par le nombre de catégories de stresseurs et de composantes valorisées afin d’éviter une surreprésentation de composantes valorisées composées de plusieurs catégories (voir section 3.2.2.1 précédente). Les résultats d’exposition cumulée normalisée et non-normalisée sont présentés à la section 5.3.

3.2.3 Stresseurs environnementaux

Dans le cadre d’évaluation d’effets cumulatifs, les stresseurs environnementaux issus d’activités humaines sont typiquement caractérisés en utilisant l’empreinte des activités elles-mêmes comme indice d’intensité des stresseurs (Beauchesne et al., 2020; e.g. Halpern et al., 2019). En tant que tel, le travail de caractérisation des stresseurs environnementaux vise une caractérisation directe des activités maritimes. De plus, chaque activité maritime est caractérisée par une empreinte unique et nécessite une approche appropriée afin de convenablement en capturer l’intensité et la distribution. Par exemple, une méthode pour caractériser la navigation ne serait pas appropriée pour caractériser les activités de dragage. Des approches individuelles ont ainsi été utilisées afin de caractériser les différents stresseurs environnementaux convenablement. De plus, certains stresseurs environnementaux peuvent être divisés en sous-catégories ayant une empreinte spatiale différente ou des effets différents sur les composantes valorisées. Par exemple, les traversiers n’utilisent pas les mêmes routes de navigation que les pétroliers, et la pêche au chalut n’affecte pas les écosystèmes de la même façon que la pêche au filet maillant. Nous avons ainsi divisé certains stresseurs en sous-catégories. La caractérisation des stresseurs environnementaux fait partie du portrait de la zone d’étude et est présentée à la section 4.2 du rapport; cette section présente les données et les approches utilisées pour caractériser les stresseurs environnementaux au sein de la zone d’étude.

La diversité des stresseurs environnementaux considérés pour l’évaluation des effets cumulatifs nécessite également une transformation des données; en effet, une intensité de trafic maritime en nombre de transits de navigation ne peut être comparée directement à une intensité d’activité de dragage en \(m^3\) de sédiments dragués. Tous les stresseurs sont ainsi normalisés entre 0 et 1 pour obtenir une valeur relative d’intensité et ainsi permettre une comparaison entre différents types de stresseurs. Le 99e quantile de la distribution d’intensité des stresseurs a été utilisé comme limite supérieure pour la normalisation des valeurs extrêmes (Halpern et al., 2019). Les catégories de navigation sont normalisées conjointement afin d’éviter d’attribuer des valeurs d’intensité relative supérieures à des types de navires pour lesquels le trafic est inférieur. Par exemple, une normalisation individuelle résulterait en une intensité maximale similaire pour une catégorie de navigation dont le trafic maximal est de 100 navires par \(km^2\) et une autre dont le trafic maximal est de 1000 navires par \(km^2\). Une normalisation jointe permet ainsi de conserver ces différences entre types de navires. Une transformation logarithmique est également appliquée aux données de stresseurs environnementaux afin d’éviter une sous-estimation de l’intensité des stresseurs à valeurs intermédiaires (Halpern et al., 2019).

3.2.4 Composantes valorisées

Les composantes valorisées sont typiquement caractérisées en présence-absence au sein de la grille d’étude, bien que certaines peuvent être caractérisées par une variable continue. Par exemple, les mammifères marins sont caractérisés afin de représenter la vraisemblance d’observer un mammifère marin plutôt que par une présence-absence. Ceci permet d’attribuer davantage d’importance aux milieux où les mammifères marins sont fréquemment observés. Tout comme les stresseurs environnementaux, les composantes valorisées peuvent également être divisées en sous-catégories afin de mieux capturer la diversité des composantes valorisées identifiées. La caractérisation des composantes valorisées fait partie du portrait de la zone d’étude et est présentée à la section 4.3 du rapport; cette section présente les données et les approches utilisées pour caractériser les composantes valorisées au sein de la zone d’étude.

3.2.5 Vulnérabilité

L’évaluation des effets cumulatifs nécessite une évaluation de la vulnérabilité des composantes valorisées aux stresseurs environnementaux considérés (Kappel et al., 2012; Teck et al., 2010). D’ordre général, la vulnérabilité d’une composante valorisée est définie en fonction de son exposition (c.-à-d. la probabilité qu’un habitat sera soumis à un stresseur), de sa sensibilité (c.-à-d. le degré auquel un habitat sera affecté par un stresseur) et de sa capacité d’adaptation ou de sa résilience (c.-à-d. la capacité d’un habitat ou des éléments le composant à se rétablir suite à une perturbation) aux sources de stress (Halpern and Fujita, 2013; e.g. Metzger et al., 2005; Teck et al., 2010).

Plusieurs méthodes sont décrites dans la littérature scientifique afin d’évaluer la vulnérabilité d’attributs naturels à des perturbations naturelles ou anthropiques (Wilson et al., 2005). Par exemple, Foden et al. (2011) ont utilisé des valeurs empiriques de temps de rétablissement provenant de la littérature comme marqueur de vulnérabilité des habitats benthiques au Royaume-Uni afin d’appliquer la méthode de Halpern et al. (2008). Des lacunes majeures au niveau des données empiriques disponibles permettant de caractériser l’ensemble des combinaisons composantes valorisées-stresseurs sont toutefois notables et entravent l’utilisation d’une telle approche (Halpern et al., 2007; Teck et al., 2010). Ce type de connaissance peut être particulièrement difficile à obtenir et des équipes de recherche entières s’intéressent typiquement à la vulnérabilité d’une seule composante valorisée à une seule source de stress; pensons à la vulnérabilité des mammifères marins au bruit sous-marin. De plus, bien que la vulnérabilité de certaines composantes valorisées à certains stresseurs environnementaux soit bien documentée et permettrait une évaluation robuste des impacts environnementaux individuels, ce type de connaissance est rarement – voire jamais – disponible pour l’ensemble des combinaisons “composantes valorisées-stresseurs”; c’est pourtant une nécessité pour effectuer une évaluation d’effets cumulatifs.

Une approche qualitative faisant appel à l’opinion d’experts et/ou à la recherche bibliographique est ainsi généralement utilisée afin de générer une matrice de scores de vulnérabilité relative pour toutes les composantes valorisées et les stresseurs inclus à l’évaluation d’effets cumulatifs (Halpern et al., 2007; Kappel et al., 2012; Teck et al., 2010). L’utilisation d’une méthode par consultation d’experts permet également de valoriser les expertises et les connaissances qui ne seraient autrement pas disponibles pour appuyer la gestion et la prise de décision (Teck et al., 2010; Wilson et al., 2005). Des critères visant à évaluer l’exposition, la sensibilité et les capacités adaptatives des composantes valorisées sont ainsi généralement sélectionnés et évalués qualitativement. Par exemple, l’exposition peut dépendre de l’étendue spatiale et de la fréquence d’une source de stress; la sensibilité d’une espèce peut être définie par les effets d’une source de stress sur sa reproduction; les capacités adaptatives peuvent être influencées par le statut vulnérable d’une certaine population animale. Ces critères peuvent varier selon les composantes valorisées sélectionnées puisque des critères applicables à une espèce (e.g. Maxwell et al., 2013) ne le seront pas nécessairement à un habitat (e.g. Teck et al., 2010). Les critères peuvent ainsi varier d’un groupe de composantes valorisées à l’autre; c’est d’ailleurs le cas pour les différentes composantes valorisées considérées pour l’évaluation de ce projet pilote.

Une évaluation qualitative de la vulnérabilité vise à évaluer chaque critère sélectionné afin d’obtenir une évaluation numérique par critère. Ces évaluations individuelles sont ensuite combinées et normalisées afin d’obtenir un score de vulnérabilité relative variant entre 0 – insensible – et 1 – très sensible – pour l’ensemble des combinaisons “composantes valorisées-stresseurs.” Les prochaines sections décrivent comment la vulnérabilité des composantes valorisées aux sources de stress a été évaluée dans le cadre de la présente évaluation. La section 4.4 présente les données, les approches et les résultats de l’évaluation de la vulnérabilité des composantes valorisées aux stresseurs environnementaux considérés pour l’évaluation des effets cumulatifs des activités maritimes dans la zone d’étude.


  1. La littérature grise correspond à des documents produits par des par diverses instances publiques, commerciales ou industrielles, soumis aux règles de la propriété intellectuelle, et non contrôlés par le processus de révision par les pairs scientifiques.↩︎